EN PUBLIC
Midi, le groupe patiente devant l'opéra. Certains discutent discrètement. D'autres lisent. Tous attendent
tranquillement l'ouverture des portes pour le concert.
La queue s'allonge sous le péristyle.
Soudain des hurlements proviennent de la Place de la Comédie, derrière la file. Les têtes se tournent vers celle
qui crie à quelques pas de l'Hôtel de ville :
Moi aussi je me suis fait baiser, mon psychiatre m'a baisé et enculée.
Après une pause, elle ajoute :
Et il a aimé ça.
Entre deux respirations, elle reprend ces deux phrases, avec les mêmes mots, le même ordre , la même force,
au même rythme. Plusieurs fois.
Les regards braqués sur cette inconnue, la détaillent : cheveux mi-longs broussailleux, épaules tombantes,
pantalon et blouson sombres.
Le groupe, sidéré, garde le silence. Quelques personnes se retournent pour ne pas voir la scène. D'autres
observent cette femme qui n'arrête pas de hurler. Et dans le rang, on chuchote : c'est une folle !
Puis le calme revient.
La femme se déculotte et urine, jambes écartées, corps penché en avant. Ses fesses dénudées, pointées vers
le ciel, exposent une preuve de maltraitance.
La femme sort un mouchoir de sa poche, s'essuie et range le mouchoir. Ses gestes sont lents. Elle remonte
tranquillement son pantalon, s'en va et reprend son message hurlé.
Dans le groupe, des commentaires se libèrent :
Imagine qu'un enfant voie ça !
Que fait la police toute proche ?
La pauvre, il n'y a pas d'autres moyens que de l'enfermer et que de la shooter ! Comme elle souffre !
Un policier sort du commissariat et suit la femme qui se dirige lentement vers la place Louis Pradel. Elle hurle
toujours.
Soudain la voix se tait.
Personne n'a pu voir l'intervention de l'agent. Les piliers de l'opéra ont obstrué la scène finale.
Lyon, mercredi 24 janvier 2018