DES MOTS ET DES TOMATES Les mots, les végétaux,
DES MOTS ET DES TOMATES
Les mots, les végétaux, les animaux et les humains naissent, se transforment et meurent, c'est la loi de la vie.
Les linguistes et les scientifiques aiment fouiller les origines, découvrir les ramifications d'une racine et suivre
son évolution dans le temps. Mais si les premiers entérinent l'usage, les seconds interviennent et modifient les
espèces.
Prenons une racine latine : capere qui signifie prendre. Avec l'ajout de préfixe et de suffixe, avec la
transformation de capt en cept, la famille s'est agrandie : accepter, acceptable, acceptation, inacceptable
, excepter et ses dérivés, captiver, captif, captation, concept, déception, précepteur, susceptible, réceptacle,
occuper, récupérer… La notion de prendre toutefois demeure présente, comme en filigrane. L'étymon reste
fort, goûteux comme une tomate des années 1950. La comparaison est osée, mais amusons-nous un peu
avec elle et essayons de la développer :
Au siècle dernier, les tomates provenaient de jardin de maraîchers. Les cueillir, c'était humer un parfum très
spécifique, légèrement poivré. Les croquer, c'était enfoncer ses dents dans une chair ferme et juteuse.
Aujourd'hui, la plante pousse hors sol, elle est nourrie d'engrais, pulvérisée de pesticides, c'est plus rentable.
Mais, ces espèces génétiquement modifiées ont perdu leur parfum et leur goût, leur chair est gorgée d'eau et
de pépins. Ne reste de la zitomate des Aztèques que la couleur et l'aspect.
Les consommateurs, curieux d'abord de découvrir ces hybrides, ont fini par les bouder et par exiger la qualité
d'une vraie pomodoro, une pomme d'or, précieuse et biologique.
Quand un mot voyage, il arrive qu'il revienne avec un champ d'action agrandi. C'est de cas de bougette, petite
bourse de l'Ancien français qui traverse deux fois la Manche et revient s'installer définitivement comme budget
pour s'imposer dans plusieurs langues.
Regardons les diverses ramifications chez les tomates. La famille s'est enrichie d'un grand nombre de
variétés : andine, cœur de bœuf, grappe, cœur de pigeon, Noire de Crimée, Roma, olivette pour ne citer que
les plus connues, chacune s'utilisant différemment selon les besoins culinaires et chacune ayant un goût
subtilement différent. C'est l'aspect positif de ces cultivars.
Un mot se transforme comme une tomate :
L'amant du XVIIème,, par exemple, désignait simplement celui qui aime. Pour que le corps soit présent, le mot
de mari suffisait. Aujourd'hui, l'amant n'est plus platonique et laisse parfois supposer une relation cachée. La
liberté sexuelle et amoureuse nous a poussés à préciser la nature de la relation selon le degré d'implication et
son statut social ou juridique : le mari, l'époux, le conjoint, ne sont pas tout à fait des concubin, compagnon,
copain, partenaire, ou pacsé. Quant à l'ami, ilreste énigmatique et pose la question des limites. Toutes ces
précisions ont embelli notre vocabulaire pour des besoins bien réels, ceux d'une société sans cesse en
mouvement.
Des mots meurent définitivement ou s'éteignent à petit feu, c'est le cas de chandail et de corsage, par
exemple. Les deux vêtements se portent encore mais s'appellent pull-over et chemisier.
Des espèces végétales ont définitivement disparu. Des écologistes luttent contre raréfaction ou la
standardisation des plantes et nous proposent des panais, des crosnes et 20 000 variétés de pommes…
La rue crée, tord les mot parfois, les oublie aussi, mais enrichit le vocabulaire, n'en déplaise aux puristes.
La tomate sert de projectile, dans la rue, une fois par an à Buñol, pendant la Tomatina. Espérons que les
Espagnols utilisent des tonnes et des tonnes d'hybrides sans saveur pour rougir leur T-shirt !