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Plume et clavier
3 janvier 2015

INSOLITE

NOV et DEC 2014 105

NOV et DEC 2014 106

L’accès à la plage se fait progressivement. J’ai d’abord quitté The Beach, le quartier résidentiel où les maisons ici sont individuelles, alors que dans les quartiers plus modestes, elles sont presque toutes jumelées. Les habitants ont décoré leur façade ou leur jardin. Les objets en baudruche rouge et jaune, que j’ai vus dans Woodbine, ont disparu. De grands sucres d’orge ont été plantés dans un jardin, dans un autre ce sont des multitudes de nœuds rouges, posés sur la végétation comme des papillons. Des guirlandes lumineuses tracent le contour d’animaux de la forêt que le Père Noël côtoie : renne, biche, ours. Nulle part, il n’est question de symbole religieux. La fête; si elle est chrétienne, ne s’affiche pas publiquement. J’emprunte un sentier qui propose deux directions : Kew Beach vers le lac et Kew Gardens, le parc voisin. J’entends l’entraînement des joueurs de hockeys sur glace, la patinoire est à deux pas. Mais je n’irai pas les observer aujourd’hui. Je vais me promener au bord du lac. L’endroit est vraiment paisible, car des entrelacs de sentiers interdisent tout accès motorisé.

La plage, de galets et petits cailloux mélangés avec du sable, est délimitée par une barrière de bois. Des promeneurs y viennent avec leurs chiens. C’est l’heure de se dégourdir les pattes, de rapporter au maître la balle ou le bâton, quitte à entrer dans l’eau glacée. Les gens sont emmitouflés dans des parkas confortables, portent un bonnet et des gants. Ici on est équipé pour affronter le grand froid et le vent surtout qui vient du lac et pénètre dès qu’il le peut, dans le moindre espace offert. Au loin vers l’ouest, se dressent La tour et son quartier de buildings. Les immeubles laissent s’échapper les colonnes de fumée des climatisations : on se rafraîchit en été, et se réchauffe en hiver, il suffit d’inverser le système.

Un petit avion vient rompre le silence un court instant. Il se dirige vers Toronto City centre airport, situé sur la partie ouest de Toronto Islands. Aujourd’hui, le soleil apporte sa chaleur, le vent est tombé et même si le thermomètre affiche -3, il ne fait pas froid. Les cabines des maîtres nageurs sont désertes, seuls restent comme des épaves estivales, les structures en bois et métal qui permettent de se percher pour scruter le lac avec des jumelles. Une bouée orange et les panneaux de sécurité sont restés accrochées, on ne sait jamais.

J’ai dû croiser une vingtaine de personnes au cours de ma balade : des femmes et des hommes seuls qui ont eu la tâche de sortir le chien, quelques couples et deux familles. Les gens se parlent, se saluent même s’ils ne se connaissent pas. Après chaque rencontre, la plage redevient totalement déserte. Le lac paraît immense, de chaque côté, une avancé le réduit à une baie, mais au-delà l’eau s’étend à perte de vue.

Et puis, la voilà, à quelques mètres de moi, seule et trônant sur la grève. Ce n’est pas une chaise de plage avec ses barres de métal et sa toile tendue, mais une véritable chaise, en bois blanc crème et revêtement capitonné assorti. Elle attend que son propriétaire vienne y prendre place. Vient-il méditer face au lac ? Y prendre une collation, ce qu’on appelle ici « snack » ? Vient-il lire ou jouer d’un instrument ? Je l’imaginerais bien en perruque poudrée et vêtements du XVIIIème siècle si j’étais en Europe, mais ici, il se serait non seulement égaré d’époque, mais de lieu. Je regarde cet objet de loin sans oser l’approcher, comme si son propriétaire invisible me demandait la plus grande discrétion.

Personne ne s’est assis, personne ne s’est arrêté. Cette indifférence me semble encore plus étonnante que la présence de la chaise elle-même.

 

 

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