Détail 1

LA MOUCHE

vole, vole, dans l'espace, dans le temps…

Une mouche s'est posée sur le fromage, discrètement, échappant au regard des Mangeurs de ricotta de Vincenzo Campi* et à leur coup de cuillère.

Nous ne la remarquons pas tout de suite. Cependant, elle est un détail important du tableau.

Nous sommes en 1850, le « génocide » des mouches, comme le dirait Queneau, n'a pas eu lieu. Aucun papier collant ne descend du plafond. L'insecte fait partie du quotidien.

L'hygiène reste sommaire à cette époque. Il suffit de constater la saleté des ongles des protagonistes. Nul ne sait encore qu'une mouche peut véhiculer des maladies.

Dans ce tableau, la mouche comme les quatre personnages montrent au spectateur que le fromage se partage. Eux ne la voient pas parce que tous leurs sens sont en éveil : la femme a les joues rouges et son décolleté invite à d'autres réjouissances. La concupiscence se lit sur les visages des hommes.

Cette bouffonnerie populaire prête à rire.

Un siècle plus tard, la mouche entre dans les salons sur les visages des femmes sous forme de petits ronds noirs en taffetas. Selon qu'elle se trouve sur le front, l'œil, le nez les lèvres, le menton, la joue, elle révèle l'humeur du jour : majestueuse, passionnée, effrontée, coquine, friponne, discrète, galante…

Aujourd'hui, constatant la présence d'une mouche, nous mettrions le fromage tout entier à la poubelle de peur d'y voir des œufs.

Libre à cette intruse de se nourrir de saleté, de chair en putréfaction, de bouse, mais qu'elle ne vienne pas gâcher notre plaisir de manger en bonne compagnie.

Libre à elle de se faire gober par les oiseaux ou les grenouilles, mais qu'elle ne vienne pas nous agacer.

Aujourd'hui, nous prendrions la bombe ou la tapette pour la tuer.

Pourtant, qui voudrait affamer les oiseaux ?

Nous irions voir un chirurgien esthétique pour faire disparaître ce nævus du visage.

Pourtant, qui imaginerait Marilyn Monrœ sans ce petit grain de beauté près des lèvres ?

* Ce tableau se trouve au musée des Beaux-arts de Lyon