PONCTUER
DES PETITS SIGNES
Qui remarque vraiment ces petits signes de ponctuation qui se glissent dans le discours ? Nos yeux les lisent
mais notre conscience ne relève que leur absence ou leur dysfonctionnement. Or ils apportent une multitude
d'informations.
La ponctuation ordonne le discours, oriente la compréhension, et commande l'intonation de la voix. Elle est
langage.
Une erreur de place, par exemple, interroge et change tout. L'instituteur, dit cet élève, est un âne. L'instituteur
dit : cet élève est un âne. Lorsqu'il s'agit d'un contrat, d'un rapport professionnel, une bévue de ce type peut
coûter cher...
Dans la création, un auteur fait des choix : certains refusent le point-virgule, d'autres n'aiment pas les points de
suspension ou d'interrogation. Vous n'en trouvez aucun dans leurs textes. Ils se font une règle de les exclure.
Quelques rares écrivains bannissent toute ponctuation et publient des romans constitués d'une seule phrase
qui coure sur trois cents pages. Cela ne gêne pas le cerveau, car il est capable de se débrouiller au bout de
quelques lignes. Mais le lecteur, lui, a des réticences, surtout s'il n'aime pas être dérouté. Ce n'est qu'une
expérience, ce n'est pas de la littérature, il faut s'y prendre à plusieurs reprises pour y comprendre quelque
chose…, disent les critiques. On oublie que la poésie se passe de ponctuation depuis Apollinaire. Les poètes
font confiance aux mots, et à eux seuls, ils les libérer de toute contrainte. Et leurs lecteurs l'acceptent sans
réserve.
Il est des auteurs qui usent et abusent du point comme s'ils voulaient exprimer une colère, essouffler le lecteur
ou lui asséner des coups permanents. Les mots sont projetés dans la phrase avec violence. Bien souvent, les
sentiments, les émotions, les digressions disparaissent. Les mots relatent uniquement le factuel, comme s'ils
étaient vérité unique...
En revanche, l'excès de la virgule et du point-virgule marquent des pauses légères : les phrases s'allongent à
l'infini, comme chez Proust par exemple. Elles invitent le lecteur au lâcher-prise. Le texte s'étire à souhait.
Le point d'interrogation a une graphie qui attire l’œil : il commence par s'arrondir dans un délié, tel un plongeur
avant de s'élancer, puis descend droit, énergique et plein, juste avant de se suspendre au-dessus d'un point.
Chez les Espagnols, ce point se fait culbuter : le creux devient réceptacle, son point flotte en l'air sans jamais
tomber. Le point d'interrogation est discours à lui tout seul : il est direct. Il attend l'inconnu : la Réponse. Elle
sera plaisante ou déplaisante et changera le cours des choses. Celui qui interroge doit être capable d'entendre
un refus.
Celui qui déraisonne les cumule, comme Harpagon lorsqu'il cherche son voleur : Que ferai-je pour le trouver?
Où courir? Où ne pas courir? N'est il point là? N'est-il point ici? Qui est-ce?
Bien évidemment, il existe de nombreux traités sur la ponctuation depuis Furetière. La plupart des linguistes
s'insurgent contre les manquements à la règle et certains oublient qu'une langue vivante évolue et que sa
ponctuation marque une époque.
Aujourd'hui, nos emails, nos textos ne s'embarrassent plus de ponctuation ou la détourne :). Il faut aller vite.
Une émoticone suffit à nuancer le propos. L'abréviation, les acronymes réinventent la langue.
Alors les puristes s'insurgent… avec moult point d'exclamations !!!!!!