Dans une supérette
Dans la supérette, un corps s'affaisse dans un bruit sourd. Rapidement, une femme s'approche et découvre un
homme âgé sans connaissance, allongé de tout son long sur le dos. Aussitôt, elle pose son sac à main, ses
courses sur le sol et s’accroupit :
- Monsieur, monsieur, vous m'entendez ? Comment vous sentez vous ? Monsieur ! Vous avez mal quelque
part ?
L'homme ne répond pas, il tente d'ouvrir les yeux puis les referme.
La femme se redresse, elle saisit les deux pieds, lève les jambes. Le corps ne réagit pas. Cette fois, la femme
s'agenouille. Elle cherche le pouls vers le cou. Puis, elle relève la tête et déclare :
- Je ne sens pas son pouls, vite appelez les secours ! Vite !
Alors, bras tendus, coudes bloqués, elle s'appuie de toutes ses forces sur la poitrine du vieux monsieur et
entreprend un massage cardiaque.
Une autre femme s'approche et propose son aide.
- Oui, prenez son poignet, dites-moi si vous avez le pouls.
La femme s'accroupit, glisse ses doigts sous la manche et déclare :
- Il est faible.
Celle qui pompe s'arrête un instant.
‑ Et là ?
‑ Il n'y en a plus du tout.
De nouveau, la secouriste masse. Elle s'arrête pour prendre une longue inspiration et envoyer son souffle dans
la bouche du vieil homme, à quelques millimètres, sans toucher les lèvres. Elle masse, elle souffle, elle masse,
elle souffle.
Soudain, l'homme émet deux expirations.
On tend un téléphone à la secouriste.
‑ C'est les pompiers !
Dans la boutique, les clients se sont rassemblés et observent la scène à distance. Ils n'entendent qu'une partie
du dialogue :
- Quand je masse il y a du pouls, quand je m'arrête, il n'y en a plus du tout.
- …
- Il vient de respirer de façon particulière deux fois.
-...
- Faites vite ! Oui, je continue.
La femme rend le téléphone et interpelle :
‑ Monsieur, monsieur !
L'homme ne répond toujours pas. Alors, de nouveau, elle lui masse le cœur énergiquement.
Douze minutes après la chute, les pompiers sont là. Immédiatement les deux femmes s'écartent pour laisser
place à un pompier. Pas un mot n'a été échangé. Celle qui a massé rassemble ses affaires et s'éloigne.
Un des pompiers tire le corps vers un espace plus large. Un autre reprend le massage puis un troisième
pompier s'approche, muni d'un défibrillateur. Des mains enlèvent le pull du vieil homme, le plient et le mettent
sous sa tête, coupent le t-shirt. Le défibrillateur est en place.
Entre-temps, la police et le SAMU sont arrivés. Les policiers restent à l'écart, surveillent la scène et les clients.
Un jeune policier se dirige vers les deux secouristes, sort un carnet, note leur identité et leurs coordonnées
puis leur demande d'attendre.
L'équipe du SAMU a échangé quelques mots avec les pompiers, et s'active. Ces secouristes forment une
barrière si bien que les clients ne peuvent plus rien voir. Une majorité s'en va. Seules quatre ou cinq
personnes, celles qui ont assisté à la chute du vieil homme, restent.
Soudain, un enfant surgit. Il aperçoit l'attroupement et tente d'aller vers les pompiers. Mais le gérant du
magasin lui barre le chemin et l'entraîne vers les rayons. Il accompagne le jeune garçon pendant ses achats
jusqu'à ce qu'il paie et s'en aille.
Une demi-heure plus tard, le plus jeune des policiers revient vers les deux secouristes et leur annonce que
l'homme est décédé. Il explique que les pompiers et le SAMU l'ont choqué plusieurs fois, et, que malgré leurs
soins, ils n'ont rien pu faire. Il précise :
‑ On a prévenu la famille. C'est un homme de quatre-vingt-cinq ans.
Enfin il ajoute :
‑ Vous pouvez rentrer chez vous. On a visionné l'enregistrement de la caméra, c'est une mort naturelle. Il n'y a
rien d'autre à déclarer. Restez à disposition au cas où on vous demanderait de passer au commissariat.
Une octogénaire, qui a suivi toute la scène depuis le début, s'approche des deux intervenantes et les remercie,
les larmes aux yeux.
Une heure s'est écoulée entre la chute du vieil homme et son décès déclaré.
C'était le 22 décembre 2017.