Devant la bascule rouillée
QUESTION DE LÉGÈRETÉ
La rouille cristallise la nostalgie. Elle s'enferme dans le grenier du collectionneur, ou s'expose comme
témoin d'un temps révolu. Le passant, aujourd'hui, a oublié Roberval et sa trouvaille. Il ignore que le
sort d'un paysan se jouait à l'instant de la pesée, sur la place du village.
Que pèse-t-on aujourd'hui ?
Quelques idées, peut-être, qui oscillent d'un côté, de l'autre, au gré des faux penseurs.
Une décision : elle pose sur les plateaux le pour, le contre. Bonne ou mauvaise ? Le fléau, lesté de ses
synonymes, manque totalement d'objectivité. La plupart du temps, il ignore les conséquences du choix.
Les mots : ils gardent toujours leur pesant de méchanceté, de sottise, d'amour ou de consolation.
Le corps : il fait masse, puisque le poids ne sert plus de référence. Cela grossit davantage : il suffit de
se représenter un kilo de plumes et un kilo de plomb ?
La douleur : les médecins pourraient la peser, ils préfèrent la mesurer sur une réglette. Pourtant un
poids sur le cœur, sur l'estomac ou dans le dos, entrave les projets et alourdit la démarche.
L'amour : je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout, dit la marguerite qui n'aspire qu'à la
liberté. Pourtant si la fleur a la chance de s'épanouir, elle allège le quotidien avec plus de discrétion et
de modestie que sa rivale, passionnée, pourvue d'épines.
Les années : riches de nos expériences, elles comptabilisent nos efforts, nos malheurs, nos futilités,
nos rires et plaisirs. A l'instant du bilan, le fléau, toujours lesté de ses synonymes, hésite entre la
compassion, l'intransigeance, le regret ou l'apaisement.
J'oublie cette bascule rouillée et les poids petits ou gros de l'existence.
Mon regard se pose sur les maisons dorées et sur le paysage.
Mon ombre a disparu.
Le village est écrasé de soleil.
Les traces de ma silhouette sont emportées par le vent léger qui soudain vient frôler les pierres.
Richerenches, été 2016