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Plume et clavier
22 mars 2015

PAUSE

LE_8_ET_9_MARS_2015_004

« Bassin-fontaine », c’est ainsi que les Lyonnais désignent la pièce d’eau située au milieu de la Place de la République. Ce n’est pas une fontaine ordinaire. Il n’y a ni sculpture de bois, de métal ou de pierre, ni plaque rappelant le nom de son créateur. N’y cherchez pas non plus une naïade ou ondine. Quarante centimètres de profondeur ne leur suffiraient pas pour s’ébattre. Narcisse l’éviterait, faute de pouvoir contempler son reflet tant l’eau est agitée.

Observons tranquillement cette « installation » rectangulaire que nous devons à Alain Sarfati. Trois rangées de courts becs de zinc ont été réparties régulièrement dans la longueur : deux face à face, contre les bords et la troisième au milieu du bassin. L’eau est l’unique vedette. Elle s’élance en gerbes, se courbe et rejoint la ligne centrale, là où le bouillonnement se fait tranquille et constant. Ensuite, les gerbes se réduisent de moitié puis reviennent à leur point de départ. La même danse, le même rythme se reproduisent inlassablement, sans surprise. Pourtant l’œil et l’oreille guettent chacun de ces trois temps : flux, reflux, apaisement, flux, reflux, apaisement…

Assise sur l’un des bancs mis à disposition tout autour du bassin-fontaine, je laisse l’eau me bercer. Pêle-mêle, les souvenirs reviennent, images, livres, films, peintures, airs. J’écarte doucement Bachelard qui voudrait chasser mes rêves et m’astreindre à la réflexion…

Des enfants s’éclaboussent à la fontaine d’un village de la Drôme. D’autres, un après-midi d’été, se poursuivent avec un tuyau d’arrosage. Aux rires et aux cris, je préfère la tranquillité des rivières chères à Henri Bosco. Me voici, adolescente, allongée sous les branches du saule, découvrant les secrets de La Mare au diable. Un peu plus tard, je dois étudier comment Du Bellay s’est laissé emporter par la fureur du torrent. Le poète aurait peut-être davantage vivifié ces élèves qui bâillent, insensibles aux transports de Lamartine. La jeunesse délaisse les lacs, elle préfère surfer sur les vagues.

D’un trait horizontal et impérieux, Courbet sépare le ciel noir et la mer orageuse. On dirait qu’il veut écarter deux belligérants. Une musique douce éloigne la tempête. Des blancs moutons dansent sur la vague…

Etrangement, personne ne me rappelle un bassin-fontaine, édifié en pleine ville, au beau milieu d’une place. Fellini, Monicelli protestent : aurais-je oublié la séduisante Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi et les larmes de joie d’Anna Magnani ? Respighi se joint à eux et joue avec l’eau des Fontaines de Rome. La rêverie se poursuit : Monet me convoque devant ses pièces d’eau, et Olivier Debré m’entraîne long de la Loire. Les paysages défilent.

Peu à peu, cette douceur, ces images et ces musiques s’éloignent. De nouveau, j’entends et je vois le ballet des gerbes. Soudain, je réalise que des becs restent vides, muets, inopérants. Le mécanisme enfoui sous la dalle aurait-il quelque défaillance ? L’installation réclame-t-elle son ménage de printemps ? Pourquoi tant de négligence ?

Mon regard se détourne sur les occupants des bancs alentours : un homme est absorbé dans une lecture. Une femme fait une halte pour donner un goûter à son enfant qui vient de chevaucher sur le carrousel voisin. Des amoureux s’embrassent, se lèvent puis s’éloignent. Les deux bancs suivants attendent, vides. En face, une jeune fille tape ses messages sur son portable et un homme téléphone, le regard préoccupé. Des passants pressés contournent le bassin qui coupe leur chemin. L’eau pourrait leur dire qu’elle les comprend, qu’elle est comme eux, embarquée dans la même course répétitive et vaine contre le temps. Mais l’eau ne pense pas, n’agit pas, ne donne aucune leçon. Obéissant à une mécanique souterraine, l’eau s’offre, malgré elle, à ceux qui prennent le temps de se poser.

Si un jour, vous allez vous asseoir devant ces gerbes argentées. Vous vous laisserez peut-être bercer par le chant de sirènes invisibles…

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