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Plume et clavier
27 novembre 2014

PROMENADE 1

 

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PROMENADES 1

Les mots qui possèdent un K attirent d’emblée mon regard. Bien sûr par leur rareté en français, mais surtout parce que leur graphie en impose : en capitales d’imprimerie, la lettre forme des pics aiguisés, en cursives, elle s’enroule avec grâce. L’enfant qui apprend à écrire est fasciné ou agacé par cette lettre exigeante. Il ne faut pas trop s’écarter de la première partie, sœur du H et finir avec une petite boucle placée au milieu de la descente. Ce n’est pas une mince affaire ! Ecoutons les savants d’aujourd’hui, ils ont suivi les connections qui se mettent en place dans le cerveau de l’enfant lorsqu’il réalise ce geste. Prodigieux ! Qu’on se le dise afin d’éviter d’atrophier le jeune écolier qui serait tenté, par facilité, de n’apprendre que par l’intermédiaire de l’ordinateur. Appuyer sur une touche du clavier réduit le geste à une simple pression du doigt. Certes ! Mais ce n’est pas anodin : il faut taper avec le bon doigt, repérer la bonne touche, la mémoriser afin que le geste devienne réflexe. Le cerveau fabrique d’autres synapses… Les écoliers du vingt et unième siècle ignorent les cauchemars de leurs aînés qui devaient tracer à la plume pleins et déliés en évitant l’accidentel pâté en guise de boucle. La modernité y a gagné en efficacité, la lettre est sur la ligne, mais a perdu en esthétique puisque, dans les polices couramment utilisées maintenant, la boucle a disparu.

Que de circonvolutions pour parler d’un lieu : Solutré, où vivent encore des Konik Polski (ou cheval de Pologne) qui pâturent tranquillement sur le flanc qui mène à la roche. Trois K pour désigner cet animal. Une ligne noire court le long du dos du cheval à la robe grise tachée de noir et de blanc. On dirait un bas-couture, raffiné, d’un autre temps. Les chevaux s’approchent parfois de la clôture pour recevoir une friandise, une caresse ou se faire photographier. Mais la plupart restent totalement indifférents aux promeneurs anonymes ou médiatisés. Ils bénéficient d’une vue plongeante sur Vergisson, la roche voisine. Le panneau précise que le konik polski entretient l’environnement. Je me surprends à imaginer que ce travail a servi d’exemple, car je n’ai vu aucun détritus sur le chemin ou parmi les buis. Mais ne nous leurrons pas si les promeneurs d’automne sont raisonnables, en pleine saison, des malotrus abandonnent leurs saletés que nettoient des travailleurs munis de pelles et de sacs.

Solutré est un site touristique, à conseiller hors saison de préférence. Autrefois, il fallait emprunter un chemin dangereux, grimper à travers les éboulis, se cramponner aux buissons. Cette voie existe toujours, mais aujourd’hui, elle est réservée aux amateurs d’escalade. Le promeneur, lui, utilise un parcours aménagé avec des rambardes et des escaliers. La fin de la montée demande davantage d’attention : le sentier devient plus sauvage, plus étroit. Des pierres servent de marches inégales, mais l’ascension est accessible à tous. Les chênes et les buis bordent le chemin. La vue est souvent dégagée sur le paysage mâconnais, d’un côté Vergisson, de l’autre, le village de Solutré et au loin Mâcon et la vallée de la Saône. En contrebas, s’étend le vignoble de Pouilly-Fuissé, un chardonneray, réputé de cette Bourgogne du sud.

Les marcheurs entraînés peuvent aller d’une roche à l’autre : Pouilly, Solutré, Vergisson.

L’amateur de préhistoire visite le musée pour se plonger dans les siècles passés, le paresseux se contente des panneaux explicatifs qui jalonnent la promenade. Un bâtiment un peu plus bas, abrite une exposition sur l’habitat et propose cafétéria, salle hors-sac… Enfin un parking est aménagé pour les véhicules.

Je me souviens d’un certain 7 juin 1992, c’était le week-end de Pentecôte. Une brigade de gendarmes barrait le passage. On y attendait le Président accompagné d’un groupe d’amis politiques. Curieusement, après avoir montré patte blanche, nous avons pu accéder à la roche. Et pour cause ! Les personnalités grimpaient tranquillement sur Vergisson, évitant ainsi la horde de journalistes et le comité d’accueil qui, installés sur une surface herbeuse, faisaient hurler un enregistrement de la guerre d’Algérie tout en vociférant des slogans de haine. La marée-chaussée veillait sur les promeneurs…

Les chevaux, la roche, les éboulis me rappellent notre finitude, nos chambardements collectifs et personnels. Les prés, les vignobles, la main de l’homme m’invitent à retracer inlassablement cette boucle qui fait du k une lettre difficile à écrire mais esthétique. Elle symbolise la vie, exigeante. Oui le « temps suspend son vol » dans ce lieu millénaire, Lamartine a écrit ce vers dans un autre contexte : au lac du Bourget, où il sauve de la noyage Julie Chales avant d’en tomber amoureux. Le lien avec le poète est facile, Lamartine habitait non loin de Solutré,  il venait grimper sur la roche qu’il comparait à un bateau renversé. Comme j’aimerais que le chaos dans lequel nous vivons aujourd’hui s’écrive avec un k en lettres cursives ! Il serait plus doux. Nous pourrions songer à redresser le bateau pour reprendre la mer…

21 février 2008 et 17 novembre 2014.

 

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